COMMENT CHIER DANS LES BOIS
Les grimpeurs d'Everest, les spéléos
de Padirac et les randonneurs du Ténéré sont conscients
du problème. Et savent (parfois) le résoudre. Les marcheurs
du dimanche, moins. Les uns comme les autres ne disposent pas toujours d'une
lunette, cuvette ou Sanisette. Comment faire pour faire ? Sans sacca¬ger
le paysage. Une Américaine, Kathleen Meyer, s'est pen¬chée
sur l'affaire. Guide de randonnée, elle a sorti en 1989 un traité
au titre explicite : Comment chier dans les bois (1), devenu un best-seller
mondial : 1,5 million d'exemplaires. Les «bois» étant
ici une métonymie de la nature, tout y est expli¬qué selon
une «approche environnementale d'un art perdu» : la position
à adopter, les conteneurs individuels et collectifs, la turista et
la purification de l'eau, les substituts au PQ ¬ de la boule de neige
au galet. Bref, quasiment une anthropologie de la merde dans l'outdoor,
éco¬logiquement correcte et dévelop¬pée sur
un mode aussi pratique qu'hilarant. «Le livre met le nez dans le caca,
en posant de vraies ques-tions, sourit Jean-Marc Porte, journaliste à
Trek Magazine et traducteur de l'ou¬vrage. C'est porté par un
souci environnementaliste très fort aux Etats-Unis, où existe
un lien pionnier avec la nature, un peu boy-scout, et la volonté
de protéger les vastes espaces sauvages.»
Faire son trou Qu'on se rassure d'emblée, Kathleen Meyer ne re-nonce pas au confort : «Ma théorie reste qu'il vaut mieux trouver une place pour (bien) s'asseoir.» Sur une souche, par exemple, où prendre appui. Les plus body-buildés pourront adopter la position du surfeur, «genoux pliés et bras étirés vers l'avant». S'agissant des bois proprement dits, la question du trou s'impose, qui va occuper tout un chapitre. Puisque enter-rer est le dogme. Mais choisir un site adapté requiert quelques connaissances. Trois ou quatre doctorats en géologie, biologie, climatologie et/ou hydrologie ne seront pas de trop, car, rap-pelle Mme Meyer, «le taux de décomposition des matières fécales enterrées est largement lié au type de sol et à sa tex-ture». De toute façon, on évitera les zones inondables, afin de ne pas polluer les cours d'eau. Pour la même raison, on sélec-tionnera des lieux «toujours au-dessus ¬ voire bien au-dessus ¬ de la ligne des hautes eaux de printemps». Facile ? «Pas tou-jours évidente à localiser», concède Kathleen Meyer. D'où l'intérêt des doctorats. Cela dit, inutile de se lancer dans un forage. Un «trou de chat» de 15 à 20 cm suffit. A recouvrir ensuite de terre. Sans oublier de touiller («stirring», in en¬glish), secret d'une décomposition réussie. «Utilisez un petit bâton pour l'opération, un truc que vous pouvez laisser dans le trou, recommande la spécialiste, plutôt qu'un outil à remettre à la ceinture.» Mais l'enterrement du papier toilette est banni. Le brûler, alors, comme recommandé dans l'univers français du trek ? «Un feu de forêt accidentel est encore un feu de trop», tranche la guide américaine. Une seule solution à ce maxima-lisme : remporter le papier avec soi. Prière d'emporter En altitude ou dans les climats froids ¬ l'activité bacté-rienne y étant quasi nulle ¬, il faudra recourir aux grands moyens : «Rapportez tout» («packing it out»). C'est aussi la règle dans le Grand Canyon, où défilent des milliers de tou-ristes : bidons de transport obligatoires et engagement écrit des visiteurs. D'autres sites s'y sont mis. «Sur l'Everest, depuis une dizaine d'années, les grosses expéditions sont astreintes à redescendre leur merde», précise le traducteur. «Pas tous le font, nuance Thomas Bianchin, chef de la rubrique matériel à Trek Magazine. Car une fois qu'on l'a rapportée, à Katmandou ou à Lhassa, on en fait quoi ? Ce n'est pas traité ni recy¬clé...» Baignant dans la boue, les spéléos, eux, sont obligés d'aborder la question de front. Surtout lors des bi-vouacs. «Si le terrain est glaiseux, on enterre, explique Bernard Lips, président de la Fédé¬ration française de spéléologie. S'il y a une rivière et si elle n'est pas captée en aval, on profite de la chasse d'eau permanente. Sinon, a fortiori dans des cavités sèches, on remonte tout dans des bidons et des sacs plastique.» Les «boîtes à caca» D'après Kathleen Meyer, carton de lait et Scotch étanche peuvent aussi donner satisfaction. Les bols Tupperware ont leurs adeptes, malgré leur fiabilité aléatoire : l'action du méthane au soleil «fera invariablement sauter le couvercle», met en garde l'Américaine. Celle-ci suggère plutôt «une bonne vieille caisse de munitions de la Seconde Guerre mondiale». Les allergiques aux armes se rabattront sur des conteneurs plus ou moins sophistiqués, du tube bricolé en PVC aux WC portatifs pour groupe de 50. Preuve d'une ima-gination débordante en Amérique du Nord, pas moins de quinze systèmes sont détaillés par l'auteure. Hélas, introuva-bles ici. «Les boîtes à caca n'ont pas traversé l'Atlantique, constate Jean-Marc Porte. Reste que c'est un problème, aux abords des refuges notamment.» Au Vieux Campeur, temple français de l'équipement rando, rien de tout cela n'est proposé. «Personne ne demande», répond, les yeux ronds, la responsable du rayon «hygiène de la personne». «Au mieux, les gens cherchent du biodégradable.» Disponible pour le papier hygiénique (3,50 euros les deux rouleaux). Tout comme un cône en carton qui «permet aux femmes d'uriner debout facilement», même en pantalon. Un tel procédé peut «faire le bonheur des femmes marins», note pour sa part l'experte américaine. Quant aux terrien(ne)s, elle les déculpabilise : «La pisse s'évapore rapidement et est relati¬vement stérile.» Ouf !!!.
Informations portées à la connaissance des randonneurs de l'Amicale et à eux seuls par Hélène et Alain Bouvier |